Presse romande – Les villes valaisannes ne trouvent plus le sommeil

POLLUTION LUMINEUSE – A vouloir multiplier les éclairages nocturnes, on finit par perdre toute… clairvoyance. Arnaud Zufferey, spécialiste de cette nouvelle forme de pollution, dresse un constat sombre des cités valaisannes.

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Minuit, au rond-point “Les pins” à Sierre: Arnaud Zufferey peut tranquillement lire le “Nouvelliste”.
Il y a deux fois plus d’intensité lumineuse que dans un bureau. (Photo Nicolas Berclaz)

Xavier Fillez

Comme si on était entré à nouveau de plein fouet dans le siècle des… lumières. Les lampadaires font des petits à mesure que leurs boules lumineuses éclairent le ciel plutôt que les trottoirs. Sur cette Terre “rayonnante”, le Valais brille aussi… par le joyeux désordre de son éclairage public. Pas d’affolement: Arnaud Zufferey, qui porte à merveille la camisole de veilleur de nuit, est là pour éclairer notre lanterne. Ingénieur en informatique diplômé de l’EPFL, le Sierrois se rend surtout utile aujourd’hui par les travaux que son master en environnement l’ont conduit à entreprendre. Pour le compte de l’Etat du Valais, d’abord, pour son propre intérêt ensuite. Arnaud Zufferey est aujourd’hui en Romandie, un des seuls spécialistes en “pollution lumineuse”.

L’homme ne dort plus

Ses conclusions, aussi pertinentes que limpides, devraient faire réagir les municipalités et le canton comme elles nous ont interpellé. Le message est clair: “Il faut optimiser l’éclairage public afin de diminuer les coûts et augmenter la sécurité.” Car, incontestablement, l’éclairage coûte aujourd’hui beaucoup trop cher et engendre des nuisances considérables. “L’éclairage public ne remplit plus son rôle”, assure Arnaud Zufferey. Tour d’horizon de ces multiples incohérences.

Un mauvais éclairage affecte l’homme: “De nombreux lampadaires éclairent jusque dans les chambres de nos habitations. Or, des études médicales prouvent que la production de certaines hormones repose sur l’alternance de la lumière et de l’obscurité. Cet éclairage à outrance peut perturber le sommeil.” Ces effets se font sentir au travail. On comprend donc qu’ils peuvent avoir des conséquences économiques.

L’éclairage ne remplit plus son rôle

Deuxième effet pervers d’un éclairage exagéré: une diminution de la sécurité sur les routes et les trottoirs. “Depuis l’invention de l’ampoule en 1879, l’objectif de l’éclairage public était d’augmenter la sécurité, ou le sentiment de sécurité. Cela fait longtemps que ça n’est plus vrai.” Les giratoires, par exemple, sont souvent éclairés à outrance.

Conséquence? “L’automobiliste est ébloui en entrant, et surtout, la différence d’intensité entre l’intérieur et la sortie du rond-point rend la visibilité des passages pour piétons très relative…”

La nature fait de l’insomnie

Autre conséquence néfaste d’un éclairage exagéré: la perturbation de la faune et de la flore. “La végétation doit aussi se reposer”, soutien Arnaud Zufferey. “Un arbre détecte l’arrivée de l’hiver grâce à la variation de la durée du jour, la photopériode. Il perd ses feuilles, ce qui crée une couche d’isolation au sol. La sève redescend dans les racines, donc il ne gèle pas. Imaginez un arbre éclairé 24 heures sur 24…” S’agissant de la faune, on sait que les oiseaux migrateurs s’orientent de nuit grâce aux étoiles. “Les juvéniles établissent une carte du ciel en l’observant avant le vol migratoire. Les oiseaux qui nichent en ville ne voient pas le ciel tant l’éclairage est parfois inadapté (ndlr: les boules lumineuses éclairent vers le haut).” Et ce n’est qu’un exemple. “Les lampadaires aménagés le long des routes sur la plaine du Rhône attirent les insectes jusqu’à 700 mètres, soit sur toute la largeur de la plaine. Ils éclairent à l’horizontal.” Conséquence: les insectes y sont attirés, s’y épuisent et y meurent. “On a estimé qu’en Allemagne, un milliard d’insectes sont tués chaque nuit, alors qu’ils ont un vrai rôle à jouer (ndlr: dégradation du bois mort, pollinisation, pour les papillons de nuit etc.)”

Sierre peut économiser 100 000 francs

Quatrième séquelle laissée par la profusion déraisonnable des mauvais éclairages publics: des coûts inutiles. Des exemples récents en apportent une confirmation sonnante. “A Calgary, au Canada, une ville d’un million d’habitants, on a remplacé 37 500 luminaires inadaptés, en un an. La ville économise désormais 1,4 million d’euros par année. Et l’investissement sera amorti en six ans”, argumente Arnaud Zufferey, qui a appliqué le calcul pour la ville de Sierre. “Sierre pourrait diviser ses dépenses en électricité par deux, soit économiser environ 100 000 francs par année.”

Arnaud Zufferey a également créé le portail romand de l’environnement. Infos sur www.cohabiter.ch et www.ciel-noir.org.

Quelques exemples

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Du gaspillage à 95% et des arbres insomniaques.

Dans ce quartier de Sierre, à proximité du lac de Géronde, l’éclairage est utilisé à des fins esthétiques, pour mettre en évidence un cercle d’arbres. Analyse d’Arnaud Zufferey : “Les projecteurs éclairent vers le haut. C’est un gaspillage à 95%. A proximité d’un écosystème sensible (Géronde), cette abondance de lumière a des effets néfastes sur la faune et la flore. Passé 22 heures, personne ne se balade dans le quartier. On en comprend mal l’utilité. En plus, les projecteurs ne sont pas étanches si on les éteint. Ils restent allumés toute la nuit. Ça coûte des fortunes…”

nf-martignyRond-point suréclairé, et piétons invisibles.

Ce giratoire situé à Martigny, est un exemple flagrant de l’insécurité que peut engendrer un mauvais éclairage en ville. “Il n’est pas rare qu’on trouve de quatre à huit projecteurs puissants autour des giratoires en ville. Cela sert surtout à éclairer le centre du rond-point et ses ornements (sculptures, plantes, etc.), on le distingue clairement sur l’image. Résultat: l’automobiliste est ébloui en entrant dans le giratoire, et ressent l’effet “voile noir” en en sortant. Il distingue mal le passage piétons. C’est non seulement du gaspillage, mais c’est également dangereux.”

nf-globesCiel éclairé, trottoirs dans l’obscurité.

Ces lampadaires équipés de boules, uniques ou multiples, sont très répandus partout en Valais. “C’est normal, ils coûtent beaucoup moins cher que les autres”, constate Arnaud Zufferey. “Le problème, c’est qu’ils éclairent surtout le ciel et non pas les trottoirs. Ils ne remplissent donc pas leur rôle. Dans le cas présent, ils illuminent l’arbre qui jouxte le lampadaire, éblouissent l’automobiliste, et rendent à peine perceptible le panneau céder le passage situé en dessous. Clairement, ces luminaires dérèglent le cycle de vie de la flore et sont inutiles.”

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Oiseaux migrateurs et insectes décimés.

Ces boules lumineuses très répandues projettent la lumière à 360 degrés. Celle projetée au ciel est perdue, celle projetée à l’horizontale attire les insectes. “Jusqu’à 700 mètres de chaque côté, soit sur toute la largeur de la plaine du Rhône. On estime à 150 le nombre d’insectes (papillons, coléoptères, etc.) qui périssent chaque nuit d’été sur une lampe comme celle-là. Près d’un milliard par nuit, en Allemagne. Ces alignement de lampes forment également un obstable infranchissable pour les oiseaux migrateurs qui tournent en rond dans un halo de lumière formé au-dessus des villes, s’épuisent et meurent.”

Pourquoi cette pollution est facile à combattre

Arnaud Zufferey brosse le portrait d’un Valais (d’une Suisse, et d’une planète) boulimique de lumière, et dénonce une utilisation irrationnelle de l’énergie que cette “maladie” suppose. Toutefois il refuse de blâmer les collectivités pour leur manque de lucidité. “Il y a gaspillage, certes. Mais on ne peut pas critiquer cet état de fait.

Les connaissances en la matière sont toutes fraîches. Il y a tout juste un an, on ignorait tout de ces phénomènes en Suisse romande. La pollution lumineuse est un héritage de plusieurs décennies.” Notre spécialiste énonce quatre principes qui font de cette nouvelle forme de pollution un adversaire facile à combattre.

Elle concerne un seul acteur. “La gestion de l’éclairage public relève de la compétence des communes, à 99%. Il n’est pas nécessaire de convaincre sept millions de personnes et d’organiser une votation pour régler le problème.”

Les remèdes sont simples. “Contrairement aux autres formes de pollution, dans le cas présent, il suffit de tourner l’interrupteur pour stopper immédiatement les nuisances engendrées par la lumière.”

Les sources de pollution sont connues.

Les sources de pollution sont connues. “Les sources sont faciles à identifier. Il suffit de se balader avec un appareil photo en pleine nuit, c’est par ailleurs ce que j’ai fait, ou mesurer l’intensité de lumière, au sol avec un luxmètre, ou par satellite.”

Lutter contre elle rapporte de l’argent. “Dans la plupart des cas, endiguer une forme de pollution coûte de l’argent, alors que lutter contre la pollution lumineuse en rapporte, en économies d’énergie.”

Une ordonnance cantonale… sur un plateau

De la théorie à la pratique il n’y a qu’un pas, rendu facile à franchir par l’engagement d’Arnaud Zufferey en faveur d’un Valais moins “pollué” de lumière. Le jeune ingénieur a poussé le bénévolat jusqu’à rédiger … une ordonnance cantonale, prête à l’emploi. En d’autres termes, une solution “clé en main” pour un canton et des communes soucieuses de préserver l’homme et son environnement des nuisances que l’on connaît.

Sur le plan fédéral, la Constitution (ndlr: art. 73 et 74) s’engage en faveur d’un “équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain”, et vise à les protéger contre les atteintes nuisibles ou incommodantes”. Etant entendu que l’exécution de ces dispositions revient aux cantons, Arnaud Zufferey a rédigé un prototype d’ordonnance cantonale, inspiré de législations en vigueur dans d’autres pays.

Extrait de l’ordonnance cantonale sur la pollution lumineuse (OcPL) telle qu’elle est envisagée par l’ingénieur sierrois :

[supprimé, cf. Guide pour les communes, dans la page d’accueil de la pollution lumineuse]

En d’autres termes, le gros du travail est fait, les compétences en la matière sont “du cru”. Ne reste plus qu’aux politiques à faire un signe de la tête.

Monde scientifique : les astronomes ne voient plus le ciel

Les premiers à s’être inquiétés du phénomène de pollution lumineuse sont les astronomes, au milieu des années 1990. Puis les biologistes ont tiré la sonnette d’alarme, et organisé une conférence à Los Angeles, en 2002. Une publication a suivi ce premier rassemblement scientifique : “Ecological consequences of artificial night lighting” (conséquences écologiques de l’éclairage artificiel nocturne), en décembre 2005. “Depuis tout va très vite. On peut dire que de la deuxième guerre mondiale à 1995, l’évolution de la technique a été longue. Et de 1995 à aujourd’hui, l’amélioration des techniques et les connaissances en la matière suivent une courbe raide.” Les fabricants d’éclairage public (le marché est occupé par Schréder Group à 75% et par Regent filiale de Philips, à 25%) n’y sont pas insensibles. Leurs efforts s’orientent clairement vers une optimisation des techniques d’éclairage.

Article paru le 7 mars 2006 dans le journal valaisan le Nouvelliste. Tirage 108’000 exemplaires.

Le vice-président de Dark-Sky Switzerland obtient le prix européen pour la protection de l’environnement

René L. Kobler, vice-président de Dark-Sky Switzerland a obtenu le prix Gallilée 2004. Cette reconnaissance est décernée chaque année par l’association Dark-Sky International pour une contribution exceptionnelle à la protection du ciel nocturne en Europe. Le prix Gallilée est la plus haute distinction décernée en Europe dans ce domaine.

M. Kobler a reçu ce prix à l’occasion du 4ème Symposium Européen pour la protection du ciel nocturne à Paris. C’est en grande partie grâce à lui que les premiers cantons et de nombreuses communes ont entrepris des démarches concrètes pour la protection du ciel nocturne. Sa capacité à analyser, à trouver des solutions constructives et à les communiquer l’amène “plein d’alliés et sans ennemis” à réduire la pollution lumineuse.

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Légende : Le coordinateur européen de l’IDA, Bob Gent, remet le prix à René L. Kobler.