Le canton de Vaud coordonnera la lutte contre la pollution lumineuse

La semaine passée, le Grand Conseil vaudois a adopté -timidement- un postulat mettant en place un plan lumière cantonale afin d’accompagner les communes dans la lutte contre la pollution lumineuse, notamment en metant en évidence les zones fragiles qui nécessitent une protection particulière contre les sources lumineuses artificielles.

Après une motion adoptée à l’unanimité au Grand Conseil Genevois en 2018, un postulat au législatif Valaisan en 2019 et la décision de l’exécutif Jurassien en 2019 de supprimer les éclairages hors des localités, le canton de Vaud rejoint le train bien en marche en Suisse Romande. Espérons que le Conseil d’Etat répondra ambitieusement à ce postulat et prendra des mesures à la hauteur du problème !

Stade de Genève : vers la fin du ciel orangé

Depuis trois hivers, le stade de Genève est devenu la source la plus importante de pollution lumineuse du canton, voire de la région, par les séances de luminothérapie que subit la pelouse du terrain quasiment chaque nuit entre novembre et janvier. Très loin à la ronde, le ciel s’illumine d’orange du soir au matin, particulièrement lorsque les nuages stagnent et réfléchissent la la lumière du stade vers la ville. Alors que le Grand Genève a expérimenté une extinction quasi-totale de son éclairage public en septembre dernier avec l’évènement “La Nuit Est Belle” et prend conscience du problème de la pollution lumineuse sur l’environnement et la qualité de vie, il est difficilement envisageable de voir ces pratiques se prolonger indéfiniment. Rappelons qu’en 2018 le Grand Conseil genevois a adopté, à l’unanimité, une motion demandant un éclairage nocturne économe, et que de nombreuses communes de la régions réfléchissent sérieusement aux mesures à prendre afin de limiter la pollution lumineuse sur leurs territoires. Les habitudes du stade contrastent fortement avec la volonté publique affichée dans le canton, alors que celui-ci est étroitement lié au Conseil d’Etat genevois.

Le stade de Genève rayonnant par une nuit couverte de l’hiver 2019-2020

Heureusement, la fondation du Stade de Genève, qui gère l’infrastructure, a annoncé qu’elle renonce à au gazon “hybride” qui demandait d’être illuminé tout l’hiver, en plus d’être chauffé (!). A la place, un gazon complètement synthétique sera installé dès cet été, qui annonce ainsi la fin des débauches de lumière à des fin d’entretien et ainsi le retour de nuit plus noires dans la région genevoise dès l’hiver 2020-2021.

Dans le contexte de la prise de conscience actuelle, cette décision est à saluer. La situation absurde vécue depuis trois ans trouve enfin une issue raisonnable, qui amènera à une nette diminution de la pollution du canton et améliorera la qualité de vie de dizaines de milliers d’habitant des villes de Lancy, Carouge, Plan-les-Ouates et Genève, qui seront rejoint par les quelques milliers de habitants du futur quartier de la Praille-Acacias-Vernet. Il faudra retenir de cette pauvre histoire une leçon appelant à la vigilance, afin qu’une situation similaire, incohérente avec les efforts publics entrepris, ne se reproduise pas d’une manière ou d’une autre.

Retour sur La Nuit Est Belle

Le 26 septembre 2019 avait lieu dans la région du Grand Genève l’évènement “La Nuit Est Belle”, initié par le muséum d’histoire naturelle de Genève et la société astronomique de Genève. Ce soir-là, l’éclairage public de plus de 110 communes vaudoises, genevoises et françaises n’a pas été allumé à la nuit tombée. Le but de l’opération était d’offrir aux habitants l’occasion de retrouver, le temps d’une soirée, l’expérience d’une nuit obscure et d’un ciel étoilé affranchi de la pollution lumineuse. Merveilleusement organisée avec des animations proposées un peu partout à travers la région, la soirée n’aura cependant pas eu les faveurs de la météo, puisque les nuages furent nombreux et ne laissèrent aux curieux peu d’opportunités d’observer le ciel. Des membres du comité de Dark-Sky étaient présents ce soir-là pour donner une conférence à Chêne-Bougeries (GE) et venir s’imprégner de l’effet de l’extinction dans la ville et ses alentours.

Le bassin genevois vu depuis le Jura quelques temps plus tard, en octobre, avec une météo plus clémente

Depuis le sommet du Salève ou depuis le Jura, l’impression dominante est que l’éclairage ne semble pas avoir changé ! L’agglomération dégage encore énormément de lumière et il est difficile de dire, sans référence de comparaison, si une extinction est en cours ou non.  L’aéroport Genève-Cointrin apparaît clairement dans le paysage comme un repère très brillant. Celui-ci n’a pas été éteint, tout comme le stade de Genève pour cause de match programmé longtemps à l’avance et qui n’a pas pu être déplacé.

L’agglomération genevoise vue depuis le Salève. Le point extrêmement clair sur la gauche est le stade, allumé ce soir-là.

En regardant de plus près, la très grande majorité des éclairages présents ce soir-là sont privés : enseignes, chemin privés, logements, publicités, etc. Cela alerte sur la contribution de cet éclairage dans la pollution lumineuse totale d’une ville, qui n’est absolument pas négligeable à grande échelle.

En centre-ville de Genève, les passantes étaient nombreuses dans les rues, que cela soit par hasard ou spécialement pour découvrir leur ville dans la pénombre, sans que l’absence de lampadaire n’empêche la déambulation à travers la ville.  Il est à noter que les fameuses enseignes lumineuses de la rade, pourtant privées, étaient quasiment toutes éteintes. Une contribution de la part des régies à saluer ! Dans les rues basses, de nombreuses vitrines étaient bien éteintes. Celles qui restaient allumées se substituaient à l’éclairage public, au point où on était loin de pouvoir qualifier la rue d’obscure. Dans ce cas, c’est surtout l’alternance entre la pénombre et l’éclairage de certaines vitrines qui impressionne, permettant de se rendre compte de l’intensité de ces éclairages privés, pourtant allumés toutes les nuits. L ‘affluence dans cette rue tout à fait normal et la circulation n’est aucunement perturbée, à se demander même si les passantes réalisent que les lampadaires sont éteints.

Les Rues Basses “éteintes”

Au contraire des Rues Basses, la vieille ville paraît particulièrement sombre, où très peu d’éclairages privés subsistent. L’effet est renforcé par le fait que l’on y accède généralement depuis des zones encore très claires, qui ne permettent pas l’acclimatation à l’obscurité.

Certaines rues de la Vieille Ville étaient réellement dans l’obscurité

En abord des Rues Basses et autour de la Rade, de nombreuses terrasses de bars et de restaurants semblent tirer parti de l’extinction de l’éclairage pour créer une ambiance particulière : bougies, lampes légères et colorées… Ils étaient nombreuses à profiter ainsi de l’événement, profitant entre amies de cette atmosphère inédite un verre de vin à la main.

La place du Molard: ‘absence d’éclairage publique n’est pas synonyme d’inactivité !

Lorsque l’on s’éloigne des commerces et vitrines encore allumés, la circulation des voitures, vélos et piétons devient plus délicate et requière plus d’attention, en particuliers entre piétons et vélos, les premiers n’étant pas forcément visibles et les seconds, pas systématiquement équipés de lumières. Certaines polices municipales ont porté une attention particulière à ce point, alertant les cyclistes non-éclairé et en distribuant des kits de lumières (et parfois aussi, une contravention…). Dans tous les cas, la circulation demande plus de prudence et est plus lente, les automobilistes s’adaptant à ces nouvelles conditions. Pour les piétons, c’est surtout l’alternance entre zones sombres et zones éclairées qui perturbe, puisque l’œil perd immédiatement son adaptation à la pénombre et est souvent ébloui.

Un vélo approchant sur une route

A minuit, l’éclairage public du canton de Genève s’est rallumé, contrairement à la plupart des communes françaises de la région qui participaient à l’événement et qui gardaient la lumière éteinte pour toute la nuit. Bien que ce rallumage des lumières soit plutôt dommage, puisque c’est surtout au cœur de la nuit que l’extinction de l’éclairage public est la plus pertinente, cela a permis de faire une comparaison des lieux avec et sans éclairage publique. Les photos suivantes montrent la même scène avant et après le rallumage de l’éclairage.

Pendant et après l’extinction : près du pont des Bergues
Pendant et après l’extinction: la place Bel Air
Vue du bassin genevois pendant l’extinction depuis le Jura
Vue du bassin genevois sans l’extinction depuis le Jura

Malgré la météo peut propices aux observations du ciel étoilé, l’événement La Nuit Est Belle a sans nul doute réussi son pari en offrants aux habitants du Grand Genève une occasion d’expérimenter une région éclairée autrement le temps d’une soirée et d’ouvrir les débats sur le sens que nous voulons donner à notre éclairage public. Les réactions sur les réseaux sociaux et dans les journaux étaient dans l’ensemble positive, avec de nombreuses voix appelant à répéter l’expérience tous les ans, voire toutes les nuits… Tandis que d’autres s’indignaient de cette événement, voyant une atteinte grave à leur confort et sécurité. Heureusement, la plupart des réactions publiquement affichées étaient plus nuancées mais néanmoins positives. A noter que la police genevoise ne note aucune augmentation de la criminalité ou des accidents cette nuit-là.  La presse romande et française a largement relayé l’action, qui a eu un écho même outre-Atlantique. Dark-Sky Switzerland félicite les initiateurs du projet ainsi que les communes qui ont eu le courage de prendre part à cette aventure, qui contribue à faire évoluer la mentalité sur le rapport que nos sociétés entretiennent avec la nuit, l’éclairage public et l’environnement nocturne en général. Déjà plusieurs communes entreprennent des mesures à long terme de réduction de la pollution lumineuse, en partie suite à « La Nuit Est Belle », un signe très encourageant.

 

 

14 associations lancent un manifeste pour la nature

A Genève, 14 associations environnementales locales ont lancé un manifeste de la biodiversité de 21 mesures pour la biodiversité, à l’attention des politiciens et décideurs.

Parmi ces mesures, la lutte contre la pollution lumineuse par l’assainissement des éclairages publics, pour viser 20% du territoire cantonal (hors-lac) non-éclairé la nuit.

Lien Swissinfo

Lien Léman Bleu

The Guardian – La pollution lumineuse est un facteur clé de la disparition des insectes (traduction)

Texte original: The Guardian – Light pollution is key ‚bringer of insect apocalypse‘
Ci-dessous, une traduction libre de Dark-Sky Switzerland:

L’examen le plus complet à ce jour de toutes les preuves scientifiques disponibles suggère que la pollution lumineuse est un facteur important mais négligé dans le déclin rapide des populations d’insectes.

Selon les chercheurs, la lumière artificielle la nuit peut affecter tous les aspects de la vie des insectes, qu’il s’agisse d’attirer les papillons de nuit autour des ampoules jusqu’à leur mort, d’illuminer les proies des rats et des crapauds ou de surexposer les signaux de reproduction des vers luisants.

“Nous croyons fermement que la lumière artificielle la nuit – combinée à la perte d’habitat, à la pollution chimique, aux espèces envahissantes et aux changements climatiques – favorise l’extinction des insectes “, ont conclu les scientifiques après avoir évalué plus de 150 études. «

“Nous supposons que la lumière artificielle la nuit est une autre cause importante mais souvent négligée de mortalité des insectes.”

Contrairement à d’autres facteurs de déclin, cependant, la pollution lumineuse est relativement facile à prévenir, dit l’équipe : ” En éteignant les lumières inutiles et en utilisant des écrans appropriés. “Cela (dans les études) a permis de réduire considérablement les pertes d’insectes immédiatement.”

Brett Seymoure, écologiste comportemental à l’Université de Washington à St. Louis et auteur principal de la méta-étude, déclare : “La lumière artificielle la nuit est une émission de lumière artificielle – de l’éclairage public aux torches à gaz dans la production pétrolière. Elle peut affecter les insectes dans tous les aspects de leur vie.”

L’effondrement des populations d’insectes a été signalé en Allemagne et à Porto Rico, et la première étude scientifique mondiale publiée en février a révélé que le déclin généralisé menace de provoquer un “effondrement catastrophique des écosystèmes naturels”.

Selon la dernière revue, “les insectes déclinent rapidement dans le monde entier. Leur absence aurait des conséquences dévastatrices pour la vie sur cette planète.

On croit qu’il existe des millions d’espèces d’insectes largement inconnues de la science, et environ la moitié d’entre elles sont nocturnes. Les insectes qui sont actifs le jour peuvent aussi être dérangés par la lumière la nuit lorsqu’ils sont au repos.

L’analyse publiée dans la revue Biological Conservation indique que les agriculteurs utilisent depuis longtemps volontairement la lumière pour lutter contre les insectes. Et parce que les infrastructures humaines sont en expansion et que le coût de l’éclairage a diminué, la pollution lumineuse a maintenant atteint un quart de la surface terrestre mondiale.

Les effets les plus connus de la pollution lumineuse sont les papillons de nuit qui voltigent autour d’une ampoule et la confondent avec la lune. Un tiers des insectes en orbite autour de ces lampes meurent avant l’aube, soit par épuisement, soit en étant mangés.

Des recherches récentes menées au Royaume-Uni ont révélé que les pertes de papillons de nuit sont plus importantes dans les endroits pollués par la lumière que dans les endroits sombres. Les phares de voiture sont un danger mortel et mobile. Leur attrait mortel a été estimé à 100 milliards de morts d’insectes par été en Allemagne.

La lumière artificielle empêche également certains insectes de trouver leur partenaire, ce qui est facile à comprendre dans les vers luisants qui échangent des signaux bioluminescents pendant la saison de reproduction.

Certains insectes reconnaissent la polarisation de la lumière pour trouver l’eau dont ils ont besoin pour se reproduire, car les ondes lumineuses sont alignées sur une surface lisse après réflexion. Mais la lumière artificielle peut le saboter : “Les mouches éphémères ne vivent qu’un seul jour, alors elles éclosent et cherchent la lumière polarisée. Elles le trouvent – mais c’est la lumière réfléchie par l’asphalte – elles y pondent leurs œufs, et tout le monde meurt. C’est une bonne façon d’anéantir une nation entière en 24 heures.”

La métamorphose des larves d’insectes, comme les grillons des champs, est également affectée négativement par la pollution lumineuse, modifiant la durée subjectivement perçue du jour et de la nuit.

La méta-étude a montré que la pollution lumineuse peut perturber la recherche de nourriture. Les insectes qui évitent la lumière, comme le Weta, les énormes grillons incapables de voler en Nouvelle-Zélande, passent moins de temps à chercher de la nourriture dans les zones polluées par la lumière.

Les insectes sont une proie importante pour de nombreuses espèces, mais la pollution lumineuse peut perturber l’équilibre en faveur des prédateurs en ciblant les insectes dans la zone d’éclairage. Des araignées, des chauves-souris, des rats, des échassiers, des geckos et des crapauds aga ont été observés se nourrissant autour des sources de lumière. Selon les chercheurs, une telle augmentation du risque lié aux prédateurs pourrait probablement entraîner l’extinction rapide des espèces touchées.

Les chercheurs disent aussi que la pollution lumineuse est particulièrement difficile à gérer pour les insectes. La plupart des autres menaces anthropiques qui pèsent sur les insectes ont des parallèles naturels, comme les changements climatiques et les espèces envahissantes, de sorte qu’une certaine adaptation pourrait avoir lieu. Le cycle quotidien de la lumière et des ténèbres, d’autre part, est resté presque constant tout au long de l’évolution.

Cependant, la pollution lumineuse est aussi une menace pour les insectes que l’homme peut le plus facilement réduire. Seymoure : “Dès qu’on éteint une lumière, elle disparaît. Vous n’avez pas besoin d’aller nettoyer, comme pour la plupart des polluants. Je ne dis pas qu’on doit se débarrasser de la lumière la nuit, je pense qu’on doit juste l’utiliser sagement.”

Le simple fait d’éteindre les lumières qui ne sont pas nécessaires est la mesure la plus évidente, dit-il, et l’allumage et l’extinction des lumières contrôlés par capteur réduit également la pollution lumineuse. Il est aussi important de protéger les lumières afin que seule la zone dont vous avez besoin soit éclairée que d’éviter la lumière bleue et blanche qui perturbe votre rythme quotidien. Les luminaires à LED offrent également de l’espoir, car ils peuvent être facilement optimisés pour éviter les couleurs nocives et les taux de scintillement.

“Les preuves que la pollution lumineuse a des effets profonds et graves sur les écosystèmes sont accablantes “, a déclaré Matt Shardlow, directeur général de Buglife. “Il est impératif que la société prenne des mesures importantes pour rendre l’environnement plus sûr pour les insectes.

Un objectif national de réduction de la lumière, juridiquement contraignant, serait la prochaine étape la plus appropriée.” Il affirme que les nouvelles directives du gouvernement britannique sur la pollution lumineuse n’ont pas pris en compte la mortalité des insectes.

Le professeur Nigel Raine, expert en pollinisation à l’Université de Guelph au Canada, qui n’est pas impliqué dans la métasétude, dit : ” La pollution lumineuse pourrait avoir un impact significatif sur les populations d’insectes, les espèces ou la communauté des insectes.

Il dit que les scientifiques devraient accorder plus d’attention à la question : “Mais il est peut-être trop tôt pour dire que les effets sont tout aussi importants qu’avec d’autres facteurs de stress”.

Seymoure dit qu’il n’y a plus de recherche sur les effets de la pollution lumineuse sur les insectes, car même les écologistes préfèrent travailler pendant la journée….